La Cour d'appel de Paris a fêté les 20 ans de la médiation judiciaire en première chambre de la cour, le 19 mai 2015 devant un parterre de 200 professionnels : magistrats, avocats, médiateurs, conciliateurs, universitaires ...
Pilote dans les modes amiables de résolution des différends, ainsi que l'a rappelé la première présidente dans son discours introductif, la cour d'appel de Paris a en effet ouvert les célébrations du vingtième anniversaire de la loi du n°95/125 du 8 février 1995, intitulée loi « relative à l’organisation des juridictions, et à la procédure civile, pénale et administrative », qui a judiciarisé la médiation en France, à l'occasion d'un colloque d'une journée intitulé : « la médiation judiciaire : déjà 20 ans ».
Chantal Arens a souligné l’émergence d’un droit à la médiation qui participe d’une « véritable démocratie procédurale », la médiation replaçant les individus au cœur de leur procès. Cette évolution se manifeste par les différentes recommandations du Conseil de l’Europe et directives européennes qui appellent les États à proposer des offres et des services de médiation et de conciliation.
Elle a présenté les intervenants des trois tables rondes, tous très impliqués dans la réflexion sur la médiation et son évolution au cours des dernières années et rappelé les thèmes retenus :
- L'articulation entre la médiation et la justice ou quelle place pour la médiation dans l'institution judiciaire
- La pratique de la médiation à la Cour d'appel de Paris
- Les règles déontologiques applicables aux différents acteurs de la médiation judiciaire.
Avant de céder la parole à Antoine Garapon, secrétaire général de l'Institut des Hautes Études sur la Justice, pour introduire la première table ronde, la première présidente a appelé de ses vœux l'instauration d'une politique publique des modes amiables de résolution des différends, les expériences individuelles ayant trouvé leurs limites. Elle a suggéré que le conseil national de la médiation, dont la création est envisagée dans le cadre des actions de la justice du XXIème siècle, soit le fer de lance de cette politique.
Elle a enfin rappelé la création d'une unité de médiation au sein de la Cour d'appel de Paris pour réfléchir collectivement sur ces questions en replaçant au centre de ces problématiques le juge, qui est le prescripteur en matière de médiation judiciaire, mais en y associant aussi l’ensemble des différents acteurs de la médiation : avocats, médiateurs, centres de formation, notaires et autres professionnels du droit, donnant ainsi une dimension pluridisciplinaire.
1ère table ronde : L'articulation entre la médiation et la justice ou quelle place pour la médiation dans l'institution judiciaire
Antoine Garapon, modérateur de la première table ronde a rappelé que 20 ans auparavant Guy Canivet avait déjà engagé la réflexion sur la médiation judiciaire et ce qu'il convenait d'en attendre. Aujourd'hui l'articulation entre médiation et justice reste un thème central en France alors que dans d'autres pays, dotés d'un cadre plus libéral, le pouvoir judiciaire n'intervenant que pour réguler, la place de la médiation est plus évidente.
Chantal Arens, première intervenante de la table ronde, a souligné que le rôle dévolu au juge dans la régulation des conflits dans une société démocratique, dans laquelle il doit veiller à la préservation des droits fondamentaux de nos concitoyens, milite pour que la médiation se développe également à l’ombre du juge. Elle a rappelé que dans son rapport d'évaluation des systèmes judiciaires des 47 états du Conseil de l'Europe publié en octobre 2014, la Commission pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) avait relevé que « le recours aux mesures alternatives au règlement des litiges […] continue à se développer dans les états membres » et présente celles-ci comme une possibilité d'améliorer « l'efficacité de la justice » et « la qualité de la réponse aux citoyens ». Pour elle, l'enjeu est que l’institution judiciaire, en se saisissant de la question de la médiation, ne la dénature pas en la juridicisant, au risque de la priver de tout intérêt. En effet, la médiation est un processus qui, par bien des aspects, est étranger à la façon traditionnelle de régler les litiges par l’institution judiciaire et éloigné de ses habitudes et ses réflexes professionnels. Plus qu'à une révolution juridique, c'est à un changement de culture qu'elle a invité les professionnels présents à participer. Aussi, pourquoi ne pas créer à titre expérimental des chambres pilotes de médiation et de conciliation dans certaines juridictions avec un circuit procédural spécifique ?
Eric Battistoni, magistrat honoraire belge, a relevé que « lorsqu'on introduit la médiation dans un rapport conflictuel on « met » du subjectif, on ne travaille plus de façon objectiviste » ce qui est antagoniste avec le positivisme des juristes. Il a développé l'exemple de l'approche des risques psycho-sociaux par le législateur belge qui a pris en compte dernièrement la subjectivité des personnes dans le cadre d'une approche phénoménologique, rompant ainsi avec une approche objectiviste traditionnellement retenue en droit Belge comme en droit français. Il a également cité la création du tribunal de la famille et de la jeunesse, juridiction créée notamment dans le but d'offrir gratuitement aux justiciables la possibilité d'une recherche d'une solution non contentieuse à leur litige.
Jacques Faget, directeur de recherche au CNRS, enseignant à l'IEP de Bordeaux, a poursuivi en remarquant que l'articulation est difficile entre deux logiques contradictoires, le droit et la médiation, d'autant que selon lui, le combat est déséquilibré, en raison d'un juridico-centrisme très puissant qui implique que la médiation, lors de sa mise en place, est prise dans un affrontement entre ce qu'il appelle les forces de l'inspiration, les forces de l'institution et les forces du marché, les deux dernières étant plus puissantes . Il a souligné que la médiation n'est pas une technique mais une valeur, une vision du monde qui se distingue de la négociation d'autant que la médiation ne traiterait pas le litige mais le conflit. Il a rappelé que la cour d'appel a eu un rôle historique dans la construction prétorienne de la médiation en France.
Nathalie Riomet, cheffe du service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes, a rattaché la réflexion sur l'articulation médiation et justice à la loi de juillet 1991 sur l'aide juridique qui a facilité l'accès au juge. Selon elle, l'accès au droit suppose l'identification des besoins qu'elle a résumé ainsi : « pourquoi le litige, comment le conflit ? ». Elle a relevé que si les esprits sont prêts, il faut pérenniser les financements qui permettent d'accompagner le développement de la médiation.
Antoine Garapon a conclu cette première table ronde en reprenant deux termes utilisés par les intervenants : puzzle et patchwork, deux métaphores qui révèlent deux voies possibles pour parvenir à l'harmonie, en rappelant que la médiation judiciaire n'avait pas pour but unique le rétablissement du lien social et que plutôt que de parler de mode alternatif ou amiable, il préférait parler d'un mode adapté, ou encore approprié, de règlement des litiges.
Natalie Fricero, professeure à l'université de Nice, directeur de l'IEJ, est intervenue ensuite sur « l'état du droit positif ».
Après avoir souligné que si la médiation fête ses 20 ans d'existence juridique, l'homo médiator a quant à lui, un âge canonique. Après avoir rappelé les fondements légaux de la médiation judiciaire en France et notamment la loi du 13 décembre 2011 pour le contentieux familial, elle a souligné le rôle déterminant du juge dans la mise en place de la médiation qui s'inscrit dans la mission générale du juge prévu au titre des principes directeurs du procès, article 21 du code de procédure civile. Elle a évoqué l'apport du décret du 11 mars 2015 pour inciter avant tout les justiciables et leurs conseils à la recherche d'un mode amiable de résolution du litige avant de développer sur le rôle régulateur du juge dans le suivi de la médiation.
2ème table ronde : La pratique de la médiation à la Cour d'appel de Paris
Jacques Duplat, modérateur de la deuxième table ronde, a affirmé en préambule que la médiation sera ce qu'en feront les hommes constatant que malgré ses 20 ans, la médiation judiciaire est portée par des praticiens qui ont encore le sentiment d'être des pionniers.
Benoît Holleaux, conseiller dans une chambre sociale de la Cour d'appel de Paris, référent médiation pour les chambres sociales, a présenté la pratique de la médiation pour le contentieux social qui, selon lui, pour être crédible, implique notamment que le juge doit sélectionner les dossiers sur la base de critères prédéterminés et qu'il doit rester actif durant tout le processus. Si depuis mai 2011, la procédure dite de la double convocation a été instaurée, l'année 2015 sera l'occasion de changements tenant compte des résultats obtenus dans le cadre d'une démarche pragmatique d'adaptation aux réalités observées sur le terrain. Ainsi comme la double convocation n'a pas eu les résultats escomptés, un nouveau dispositif interviendra à partir de septembre 2015 qui permettra que les 9 chambres sociales traitant le contentieux prud'homal individuel bénéficient de la présence d'un médiateur de permanence afin qu'une information puisse être immédiatement proposée sous l'égide du juge.
Dominique Greff-Bohnert, présidente de chambre de la famille à la Cour d'appel de Paris a poursuivi en constatant que bien que la famille soit ciblée comme un domaine privilégié pour la médiation, bien des obstacles demeurent. Elle a indiqué qu'aux chambres de la famille, les dossiers sont sélectionnés par le président de la chambre avant que les parties soient convoquées à une information à la médiation. En 2014, la moitié des personnes convoquées ne s'est pas présentée. Elle a enfin évoqué une pratique de sa chambre consistant à imposer au parties de prendre contact avec un médiateur dans le cadre des procédures urgentes de l'article 905 du code de procédure civile. Pour conclure, elle a préconisé un travail de partenariat avec les avocats à concrétiser dans une convention et s'est associée aux objectifs définis par la première présidente dans le cadre de l'unité de médiation de la cour d'appel.
Maître Hirbod Dehghani-Azar, avocat, président de l'Association des Médiateurs européens (AME), est intervenu ensuite sur le rôle de l'avocat qui peut être de 3 ordres. Il peut être avocat accompagnateur et ce rôle est particulièrement mis en avant, selon lui, à l'occasion de la formation des avocats qu'elle soit initiale ou continue. Il peut également être avocat prescripteur, mission qu'il rattache au devoir d'information et de conseil. Il peut enfin être avocat médiateur dès lors qu'il a suivi une formation ad hoc. Il a conclu sur la notion de justesse attachée à la justice rendue sous l'angle de la résolution amiable d'un différend.
Maître Thierry Garby, avocat honoraire, médiateur, a rappelé que la mise en place de la médiation peut se faire de différentes manières. Il peut s'agir de médiation conventionnelle précontentieuse que les avocats peuvent encourager dans le cadre de la traditionnelle lettre d'usage qui offre de rechercher une solution amiable au litige dont ils viennent d'être saisi ou de médiation judiciaire pour laquelle il relève que le juge a avant tout un rôle didactique pour lever les freins et faciliter le débat. Il tire de son expérience de médiateur la conclusion que le rôle incitatif du juge pourrait être plus important sans nuire aux intérêts des parties.
3ème table ronde : Les règles déontologiques applicables aux différents acteurs de la médiation judiciaire.
Fabrice Vert, conseiller à la cour d'appel, référent pour la médiation a, en qualité de modérateur, engagé les intervenants de sa table ronde à réfléchir avec les participants au colloque, de façon très concrète, aux questions liées à la déontologie des acteurs de la médiation, au coût de la médiation, au choix du médiateur, les réponses à ces questions conditionnant la confiance de l'ensemble des acteurs judiciaires dans la médiation, confiance qui est la clé de sa réussite.
Michèle Guillaume-Hofnung, professeure de droit public, médiateur, université Paris II, a affirmé à titre liminaire que la médiation « ce n'est pas du droit c'est un processus de communication éthique » incompatible avec la moindre contrainte pour entrer en médiation. Le médiateur qui met en œuvre une maïeutique sera détecteur du « mal entendu » pour faire émerger non pas une vérité mais permettre la construction d'une représentation commune de la situation. Elle a relevé que ce qui préoccupe le magistrat prescripteur c'est la garantie de la qualité du médiateur. Elle souligne l'intérêt du Code de déontologie que les associations ont été capables d'élaborer, entre elles. Si elle ne préconise ni un ordre des médiateurs, ni une autorité administrative indépendante, elle évoque l'urgence de créer un observatoire constitué de l'ensemble des partenaires.
Gabrielle Planès, présidente de l'Association Nationale des Médiateurs (ANM), a rappelé la genèse du Code de déontologie des médiateurs et souligné que chaque médiateur doit signer un engagement de respecter les règles déontologiques définies ensemble. Elle a évoqué la création d'une plate-forme en 2012, véritable « think tank » qui a vocation à favoriser une meilleure reconnaissance à l'extérieur. Elle a conclu son propos en insistant sur la conjonction des volontés de tous les acteurs de la médiation.
Bérengère Clady du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP), a indiqué que le CMAP garantit une formation et le respect du Code de déontologie en délivrant un agrément annuel. Elle a présenté la procédure de désignation d'un médiateur du CMAP qui assure notamment sa disponibilité et l'absence de conflit d'intérêts.
Maître Martine Bourry d'Antin, médiateur, avocate, a évoqué sa pratique en partant du constat que les parties n'ont pas toujours intégré les informations délivrées par le juge ou lors d'un rendez-vous d'information sur la médiation et qu'afin de poser un cadre clair sur le processus, elle commence par faire signer une convention à laquelle chacun pourra se référer tout au long de la médiation. Elle est également intervenue sur le coût de la médiation en expliquant que le juge devait évaluer la provision en fonction de la complexité du dossier.
Loïc Cadiet, professeur à l’École de droit de la Sorbonne, a conclu cette journée en proposant de saisir la médiation dans un mouvement plus large de promotion des modes alternatifs de résolution des différends et de diversification des réponses judiciaires afin de répondre à la demande sociale. Soulignant que la Cour d'appel de Paris avait des titres pour faire valoir cette commémoration en commençant par le président Pierre Belley, il a appelé des ses vœux une politique plus volontariste. Il a confirmé l'idée reprise toute au long des débats de la nécessité de renforcer la confiance dans le processus ce qui implique, selon lui, de la sécuriser. Il a résumé ses préconisations en 3 termes : former, informer et transformer et insisté pour que le juge ne soit pas le premier recours mais le dernier recours, évoquant ainsi une écologie de la justice.