Conférence faite à TACHKENT, en octobre 2010 par
GUY PISANA, Vice-Président au tribunal de Grande Instance de Marseille, France.
J’aimerais tout d’abord remercier les organisateurs de cette conférence ainsi que l’Ambassade de France.
Je remercie également les associations GEMME et Citoyens et justice qui m’ont aidé à préparer cette présentation.
La diversité des nations et des systèmes juridiques représentés à cette conférence montre bien la nature universelle de la médiation comme mode de résolution des conflits, et au minimum l’idée qu’il existe bien des cas où il vaut mieux utiliser la médiation plutôt que de recourir à un procès pénal ou ne pas apporter de réponse judiciaire.
En France on observe que la médiation en matière pénale est principalement utilisée dans les domaines suivants :
⁃ conflits familiaux,
⁃ conflits de voisinage,
⁃ violences,
⁃ dégradations,
⁃ vols et fraudes.
Je vais rapidement vous décrire comment la médiation se présente dans la loi française.
LA MEDIATION PÉNALE, PRÉLIMINAIRE AUX POURSUITES PAR LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE
Les premières expériences de médiation pénales datent des années 80 sans texte réglementaire : le fil directeur étant la prise en compte de la victime sans utiliser les méthodes répressives classiques, c’était le domaine privilégié des conflits relationnels.
La médiation pénale est apparue dans la loi en 1993, complétée en 2004.
Elle n'est cependant inscrite que dans un seul article du code de
procédure pénale (article 41-1) offrant d'autres possibilités au
Procureur:
« S’il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, directement ou par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire, d'un délégué ou d'un médiateur du procureur de la République [...] 5° faire procéder, avec l'accord des parties, à une mission de médiation entre l'auteur des faits et la victime. En cas de réussite de la médiation, le procureur de la République ou le médiateur en dresse procès-verbal, qui est signé par lui-même et par les parties et dont une copie leur est remise; si l'auteur des faits s'est engagé à verser des dommages et intérêts à la victime, celle-ci peut, au vu de ce PV, en demander le recouvrement suivant la procédure d'injonction de payer conformément aux règles prévues par le code de procédure civile.[...] »
Il se trouve que la médiation n’occupe pas une place centrale dans les alternatives possibles aux poursuites dont dispose le procureur de la République, cela ne reflète pas les limites de la médiation, mais surtout la réticence associée à un manque de culture de la transaction en France où la symbolique du procès reste encore très forte.
En pratique, le procureur désigne directement un médiateur qui va rechercher l’accord de la victime pour aller en médiation ; la médiation précède toujours la poursuite, elle est un rapprochement volontaire de l’auteur et de la victime.
Si la médiation est ordonnée par un magistrat - le procureur – elle est confiée à une instance non judiciaire : le secteur associatif. Ceci montre l’importance de la question relative à la compétence professionnelle du médiateur désigné.
En France, il n’y a pas de diplôme d’État pour la médiation, mais différentes formations existent, elles ont des valeurs variables ce qui entraine des différences importantes d’une juridiction à l’autre. Ceci peut entrainer un certain manque de confiance des magistrats prescripteurs et ainsi, limiter le nombre des médiations qu’ils proposent.
Le médiateur doit respecter un certain nombre de règles de base :
- respect des personnes et de la loi
- confidentialité
- neutralité
En ayant les objectifs suivants :
Etablir le dialogue
responsabiliser l’auteur des faits
Réparer le préjudice causé à la victime
Construire des solutions durables
Formaliser un accord
La compensation peut être financière, matérielle ou symbolique.
Au tribunal de Marseille il a été décidé que le médiateur est systématiquement assisté d’un avocat. Mais d’autres tribunaux ont des pratiques différentes. Un point mérite d’être souligné : les parties peuvent toujours être assistées par un avocat de leur choix, mais elles n’y sont pas tenues.
La question fondamentale de la méthodologie et de la déontologie du médiateur n’est pas définie par la loi, hormis quelques conditions de bonne moralité, et ceci soulève la question de la formation en laissant place à une multitude de pratiques. C’est une des raisons pour lesquelles le champ d’application de la médiation est encore limité.
Une circulaire du Ministère de la Justice de 2004 précise les différentes infractions concernées :
⁃ relations de proximité
⁃ possibilité d'infractions réitérées
⁃ faible préjudice
Toute atteinte significative à l’ordre public est d'une façon générale exclue.
Par exemple, si nous pouvons concevoir une mesure de médiation pour des
faits violences familiales, elle sera refusée si les blessures sont
graves ou répétées.
Une étude statistique nationale montre que plus de 60% des médiations aboutissent à un accord. Il n’est pas certain qu’un procès, dans les mêmes circonstances, aurait conduit à un tel taux de satisfaction.
Quelques statistiques
Au tribunal de Marseille, le procureur désigne deux associations :
l’une est spécialisée en médiation familiale, et elle a procéder à 137 médiations en 2008 et 363 en 2009.
L’autre qui est généraliste a été désignée pour 608 médiations en 2008 et 363 en 2009.
Ces chiffres doivent être comparés aux plus de 15.000 procédures que le ministère public traite chaque année !
Et à environ 9000 jugements prononcés.
Nature des infractions en médiation pré-sentencielle au Tribunal de Marseille cette année :
NATURE TAUX D’ACCORDS
Violence 63%..................................................................65%
Menaces 14%..................................................................30%
Dégradations 7%.............................................................41%
Pensions alimentaires 5%............................................... 35%
Vols 3%
L’absence d’accord n’est pas nécessairement un échec puisque presque toutes les affaires envoyées en médiation, même s’il n’y a pas eu d’accord, ne font pas ensuite l'objet de poursuites.
Statistiques et commentaires sur les médiations pénales en France
En 2009 il y a eu cinq millions d’affaires pénales reçues par les
parquets ; seules 31% de ces affaires ont pu être traitées (auteurs non
identifiés), ce qui fait environ un million et demi ;
Le taux des poursuites a été de 87% :
⁃ 673000 affaires ont fait l'objet de poursuites classiques devant une juridiction répressive, soit 52%
⁃ les 48% restants ont été traitées par des méthodes alternatives aux
poursuites, soit 558.000 affaires, parmi lesquelles 23.451 par la
médiation pré-sentencielle.
⁃ Les autres méthodes alternatives sont en particulier la proposition
d'amende acceptée par l’auteur (composition pénale), des injonctions de
soins faites à l’auteur concernant une dépendance (alcool ou drogue), un
avertissement, une réparation pour le préjudice financier.
Ceci semble assez satisfaisant, mais en fait, le nombre d’affaires traitées par la médiation décroit :
Il y a dix ans, en 1999, le chiffre des médiations était de 30.334 pour 214.000 affaires traitées par des méthodes alternatives.
Ceci ne prouve pas pour autant le succès des procédures classiques ou
des autres méthodes alternatives mais révèle plutôt des choix de gestion
des contentieux car le nombre total des affaires a augmenté.
Il y a deux conceptions, l’une arguant de ce que seule la répression
peut réduire la montée de la délinquance par la crainte qu'inspire la
perspective d’une répression sévère, l’autre réside dans la croyance que
donner la possibilité de communiquer, de s’exprimer, de comprendre, et
pourquoi pas quelques fois permettre à la victime de pardonner à
l’auteur, est une meilleure méthode pour diminuer la répétition des
infractions.
L’idée est de mettre fin aux mécanismes de vengeance sur quelqu’un ou envers la société.
Entre ces deux conceptions, il est certainement possible de trouver un
équilibre, la plus grande difficulté étant de le rechercher.
Aucune de ces solutions n’est parfaite, le choix dans les situations réelles est souvent subtil et délicat.
Exemple de médiation pré-sententielle
C’est l’histoire d’une mésentente entre de jeunes mariés. Ils ont un bébé.
La femme porte plainte à la police contre son mari. Elle parle d' actes
de violences (des gifles et des coups de poing). Elle dit qu’elle a
peur. Le jour suivant elle retire sa plainte. Elle n’est pas allée voir
le médecin, et la police n’a pas remarqué de blessures.
Le mari conteste les faits.
Le procureur ordonne une médiation.
Lors de la médiation, un mois plus tard, la situation était la suivante :
Ils étaient séparés,
Ils avaient changé de numéros de téléphone et d’adresses,
L'homme ne savait pas où se trouvait son enfant.
Le médiateur constata que :
⁃ le mari avait reconnu des violences
⁃ la femme avait dit qu’elle désirait seulement des excuses, ce qu’il fit
⁃ qu’ils avaient alors échangé leurs adresses, leurs numéros de téléphone et organisé les visites pour le bébé.
Deux mois plus tard, il était vérifié que tout allait bien et qu’ils avaient respecté leur accord, à la suite de quoi le procureur décida de classer l’affaire.
Commentaires sur cet exemple
Il y a là une réponse judiciaire efficace au lieu d’une décision immédiate de ne pas poursuivre, ou d’un jugement amenant probablement faute de preuve à une relaxe en cas de procès. C’est mieux que d’abandonner les parties à leurs problèmes qui auraient pu empirer.
Nous mesurons là la valeur et la relativité de la médiation pré-sentencielle dans le choix des poursuites, sachant que la plupart des cas n’amènent pas à des poursuites.
La France a expérimenté en 2009 et 2010 la médiation post-sentencielle,
c’est à dire après saisine du tribunal par le procureur. Les résultats
ne sont pas encore publiés, mais j’aimerai vous en parler puisque j’ai
participé à cette expérience.
LA MEDIATION POST SENTENCIELLE : UNE EXPÉRIENCE INITIÉE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE
Il s’agit d’un projet mis en place en 2008 par la Commission Européenne dans un plus vaste projet de justice restaurative.
Quatre pays ont accepté d’y participer : la Bulgarie, l’Espagne, la France et l’Italie.
En France seules trois tribunaux ont été choisis, parmi lesquels se trouve Marseille.
Il fallait expérimenter trois mesures :
⁃ La médiation dans le contexte d’un ajournement de peine.
⁃ La médiation en tant que sanction complémentaire.
⁃ La « conférence de groupe ».
L’expérience limitée de fait à six mois d'activité juridictionnelle a porté sur 25 affaires.
Nous étions placés dans la situation où le juge chargé de définir la peine et d'évaluer les dommages, auparavant décide d’une mesure de médiation.
Voici les premières conclusions de cette expérimentation :
Pendant le procès, la médiation a pu être ordonnée dès le début, et être
imposée au prévenu, mais elle doit être acceptée par la victime.
Mais dans la plupart des cas, la médiation qui est la rencontre des
personnes devant le médiateur, ne commença pas avant que le tribunal
n'ait statueé sur la question de la culpabilité mais intervint avant le
prononcé de la peine.
La peine a été construite en quelque sorte l’auteur et à la victime à
travers l'accord auquel il avait pu parvenir. La sévérité ou la clémence
de la sanction, et la nature des réparations ont été en partie ou
complètement déterminés par les parties à l'issue du processus de
médiation.
Plus de la moitié des médiations se sont terminé par un accord, le plus
souvent la médiation se termine en même temps que le procès.
La médiation peut continuer après la peine prononcé par le tribunal : c’est la mise à l’épreuve, parce que le conflit de relation n’est pas complètement apaisé, ou qu’il s’agit d’une affaire dont l’exécution doit être suivie de près. Alors c’est un autre juge (juge de l'application des peines) que celui qui a prononcé la peine qui est chargé de suivre le processus de médiation et le cas échéant de prendre des mesures de révocation.
Le dernier point expérimenté dans la médiation a été d’y associer des personnes qui ne sont pas parties au procès, comme d’autres membres de la famille, d’autres voisins, des collègues de travail, etc. quand on se rend compte que le succès de l’accord dépend aussi de leur attitude.
Le risque fréquent étant que le conflit ayant conduit à l’infraction se répète, la médiation consiste ainsi à s’intéresser non seulement aux conséquences de l’infraction (ce que le juge est capable de faire) mais aussi aux circonstances qui en ont été la cause (ce dont le juge ne peut en revanche traiter).
Nature des infractions dans la médiation post-sentencielle
sur 21 affaires :
- Violence : 7
- Menaces : 7
- Dégradations : 2
- Graffitis urbains : 1
- Vols : 3
- Exhibitionnisme : 1
Quelques unes de ces infractions ont été commises avec arme (couteau, marteau, hachette) et deux fois des armes à feu ont été utilisées, mais seulement pour intimider.
La médiation a été utilisée pour des infractions graves et elle s’est révélée être un outil complémentaire (je dois dire particulièrement utile), et non pas seulement un moyen alternatif à la répression.
Exemples et commentaires de médiations post-sentencielles
Il s'agissait d' un conflit entre voisins qui s’est terminé dans la
violence. Le désaccord provenait des poubelles et des ordures les
opposant fréquement les uns contre les autres. Un jour l’un d'eux se
rend dans la maison de l’autre accompagné de ses deux fils et le
frappèrent.
La victime des coups dépose plainte auprès de la police. Le père et les
fils (dont l’un était policier) dirent qu’ils avaient été menacés
auparavant par arme dans la rue.
La police trouva effectivement une arme dans la cuisine de la personne blessée.
Il fut décidé par le procureur de poursuivre tous les participants au
conflit. Au cours de l’audience, le procureur demanda des peines
d’emprisonnement pour les 4 protagonistes.
Tous demandaient des indemnisations financières.
Le tribunal les déclarent tous coupables des faits qui leur étaient
reprochés , mais une médiation est ordonnée par le tribunal avant de
décider des peines.
3 mois après la médiation, le médiateur constata dans un accord signés par tous :
⁃ qu'aucun d’eux ne demandait plus de compensation financière
⁃ qu'ils avaient signé un accord organisant le dépôt des ordures et leur ramassage
⁃ qu'ils se présentaient mutuellement des excuses.
Sur cette base que le tribunal a décidé d'une dispense de peine pour tous les prévenus.
Commentaire
⁃ ils s’étaient fixés des règles pour régler leur problème d’ordures
⁃ ils pouvaient continuer à vivre chacun dans leur maison sans envisager
de déménagement car il n’y avait pas de risque de vengeance
⁃ celui qui était policier n'avait pas été inquiété de sanctions disciplinaires
⁃ l’autorité du tribunal demeure sauvegardée
Le médiateur avait travaillé sur des questions matérielles comme celle des ordures, sur le respect mutuel, sur des solutions durables, c’est ce que le juge correctionnelle ne pouvait pas faire.
Il y a eu des cas où, même avec un accord satisfaisant, une peine a été
prononcée, par exemple de la prison avec sursis et mise à l’épreuve,
celle-ci incluant la médiation.
Dans l deux affaires , la mission du médiateur était plus risquée, plus
délicate : même si tout avait été tranché (peine et réparations des
blessures).
Il s’agissait de régler de nouveaux problèmes avec la même méthode, la
médiation, au cours de laquelle la victime et l’auteur trouveraient un
accord.
Cela peut éviter la révocation de la peine d'emprisonnement avec sursis.
Une des affaire concernait des violences faites par un fils à sa mère.
La peine était de 18 mois de prison avec un sursis et mise à l'épreuve pendant un an qui comprenait une mesure de médiation ;
En dehors de la médiation, la personne condamnée avait à respecter un
certain nombre d’obligations comme celle de travailler, d’arrêter
d’aller chez sa mère, et de voir un psychologue.
Le but de cette médiation était de trouver un moyen de régler le problème entre la mère et son fils de les rapprocher de façon constructive, c’était ce qu’espérait et demandait la mère.
En conclusion
J’espère que la médiation post-sentencielle, et sa pratique seront inscrites dans la loi française dans les années à venir. Comme le disait Jean Monnet, économiste français, l’un des fondateurs de l’idée européenne : »le plus beau métier du monde est de rapprocher les gens ».
Un travail important réalisé en France par la fédération « Citoyens et Justice » tend à établir les règles méthodologiques et éthiques de la mise en place de la médiation, pour assurer aux justiciables, où qu’ils se trouvent sur le territoire, un traitement identique malgré un manque d’infrastructure judiciaire.
Le Conseil Consultatif des Juges Européens (CEPEJ) a publié il y a quelques jours un document appelé « magna carta des juges »(principes fondamentaux) concernant l’indépendance du juge, son éthique et sa responsabilité, et qui précise à la section 15 : « le juge (…) doit contribuer à promouvoir les méthodes de résolutions alternatives des conflits ».
Mais il reste encore beaucoup de travail à faire.