La médiation administrative en urbanisme à l’épreuve des faits.

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Avec l'aimable autorisation de publication de Mr Jean-Pierre Vogel-Braun, Vice-Président et Référent Médiation au Tribunal Administratif de Strasbourg.

Construction et urbanisme
Autorisations d'urbanisme
20 janvier 2020

La médiation administrative en urbanisme à l'épreuve des faits.
Contrairement à ce que pensent certains, l'urbanisme se révèle être un terrain propice à la médiation administrative dans le cadre d'un contrôle de légalité, même si certaines limites réglementaires spécifiques et la question des délais contraints de jugement peuvent en entraver le développement.
En 2015, lors d’un colloque sur la médiation et la conciliation devant la juridiction administrative, M. SAUVE, VicePrésident du Conseil d’Etat, tenait les propos suivants : " la particularité de la matière administrative appelle une limitation du champ des règlements amiables, compte tenu de l’importance des règles d’ordre public. Mais cette particularité ne doit pas être une source d’inhibition ou d’indifférence. Elle ne saurait, en tout cas, justifier l’atrophie et l’inemploi de ces instruments par le juge administratif ". Depuis la loi 2016-1547 du 18 novembre 2016, dite J.21, les instruments de la médiation administrative qu'il appelait de ses vœux ont fait leur entrée en juridiction administrative aux articles L. 213-1 à L. 213-10 du code de justice administrative. Le recours à la médiation est désormais un mode de droit commun de résolution des différends qui peut être à l’initiative des parties ou à la demande du président de la formation de jugement. La loi du 18 novembre 2016 a été complétée par les articles R. 213-1 et suivants du code de justice administrative issus du décret n° 2017-566 du 18 avril 2017.

L'urbanisme se prête-t-il à la médiation ?
En chiffres. Pour le juriste, un acte administratif est légal ou illégal. Nombreux sont ceux qui ne discernent pas d’espace pour une médiation car il ne saurait être transigé sur la légalité d’un acte administratif. Les statistiques du Conseil d’État extraites de Skipper, quoique modestes, témoignent favorablement en faveur du processus de médiation adapté aux contestations des autorisations du droit du sol. Toutes matières confondues, sur l’ensemble des 40 tribunaux administratifs y compris l’outre-mer, 659 médiations ont été enregistrées à la demande du juge en 2018 avec un taux d’accord de 73,4 %. 842 médiations ont été enregistrées au 30 novembre 2019 avec un taux d’accord de 66,2 %. En urbanisme et aménagement, 82 médiations ont été enregistrées en 2018 avec un taux d’accord de 32 % et 119 médiations ont été enregistrées au 30 novembre 2019 avec un taux d’accord de 54,4 %. Eu égard à la confidentialité entourant le processus de médiation, il est difficile de tirer des enseignements sur les motifs ayant permis d’aboutir à un accord sauf à ce que les parties en demandent l’homologation. Les jugements sont encore rares (TA Strasbourg, 1er déc. 2017, n° 1704860 et 1701610).
Quels sont les domaines en urbanisme où la médiation apparaît la plus appropriée ?
Se prêtent à la médiation les litiges des citoyens dans leur vie quotidienne, dont sont a priori exclus ceux portant sur les actes réglementaires tels que les plans locaux d’urbanisme. Il peut s’agir de litiges portés par des associations de protection de l’environnement ou de quartier. Ces litiges du quotidien ont pour caractéristique un prétexte pour régler un conflit d’une autre nature. Cela est très net dans les conflits de voisinage en zone rurale. Ainsi une « déclaration préalable » du pétitionnaire pour des travaux dispensés de permis de construire sera souvent contestée par le voisin. Il s’agit de projets d’abris de jardin, de vérandas, de garages en limite de propriété, de murs de clôture, de ravalements de façades, ou de travaux n’entraînant pas d’augmentation de surfaces. Il peut s’agir d’un permis de construire une maison individuelle, de petits projets dans une zone rurale où le voisin découvre lors de l’affichage sur le terrain, l’existence du permis de construire. Il peut s’agir de permis de construire modificatifs autorisant, par exemple, le déplacement de locaux techniques, ou modifiant l’implantation du projet initial par rapport aux limites, une modification de la hauteur, une répartition différente des places de parkings, l’ajout ou la suppression d’espaces verts. Alors que les permis sont délivrés sous réserve des droits des tiers, l’intérêt à agir dont se prévalent les requérants, permet de déceler des motifs de recours sans emport sur le litige ou sur l’application de la règle de droit en urbanisme. Ainsi, derrière la contestation d’un permis autorisant un ravalement de façade par le locataire évincé, a pu se cacher un contentieux civil relatif au montant de l’évaluation de l’indemnité d’éviction pour résiliation du bail commercial de l’intéressé pendant devant la juridiction judiciaire. La médiation doit permettre aux parties de trouver par elles-mêmes un accord sur le différend qui les sépare. L'opposition d’un maire à une déclaration préalable d’installation d’un rucher par un agriculteur dans un espace boisé classé prohibant toute construction s’est parfaitement prêtée à une médiation dans la mesure où il s’agissait de procéder à une interprétation des exceptions au nombre desquelles pouvait être éligible l’ouvrage projeté. Un permis de construire autorisant l’agrandissement d’un atelier de réglage de matériels roulants de chemin de fer contesté par des riverains regroupés au sein d’une association a pu se prêter à un processus de médiation afin de favoriser l’émergence de solutions de réduction des nuisances pour les riverains.

Décisions d'urbanisme prises en application de dispositions "permissives" D’autres domaines sont éligibles à la médiation. Il s’agit de ceux où le service instructeur a fait application de dispositions dites « permissives ». L’article R.111-2 du code de l’urbanisme prévoit que le projet peut être refusé où n’être accepté que sous réserve de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la sécurité du fait de sa situation. Un refus de permis de construire peut-être fondé sur des motifs de sécurité et des risques d’inondation en raison des dispositions d’un plan de prévention des risques d'inondation (PPRi). L’article L. 562-1 du code de l’environnement réglemente les zones directement exposées au risque d’inondation et celles qui le sont dans une moindre mesure mais dont les aménagements peuvent contribuer à aggraver le risque. Le PPRi a une valeur réglementaire opposable aux tiers et constitue une servitude d’utilité publique annexée au PLU. L’existence de motifs réglementaires fondant le refus du permis devrait prohiber toute possibilité de médiation. Mais à la réflexion, le projet de construction, envisagé dans une zone du PPRi à aléa faible, de nature à entraver le libre écoulement des eaux est susceptible de passer par une solution alternative consistant en un permis de construire modificatif (PCM) favorisant la transparence hydraulique et la réalisation de travaux de réduction de la vulnérabilité sur le bâti existant. Le projet ne devant pas faire barrage, un PCM consistant en une construction sur pilotis pourrait éventuellement être la solution de nature à satisfaire ainsi aux impératifs de nature réglementaire. La médiation demande de l’imagination. A l’inverse, un projet de construction susceptible de porter atteinte à la salubrité ou la sécurité publique peut être refusé si aucune prescription spéciale ne permet de rendre conforme la construction (CE, 26 juin 2019, n° 412429). Une médiation n’est donc pas envisageable.

Décisions d'urbanisme prises sur décision conforme de l'ABF
Il y a des situations où le permis est refusé par l’administration car cette dernière se trouve en situation de compétence liée en raison de l’avis défavorable conforme de l’architecte des bâtiments de France (ABF). En pratique, une médiation paraît irrémédiablement compromise, dès lors que le maire et l’administré ne font que subir une situation ou une appréciation défavorable du fait d’un tiers, l’ABF, qui n’est pas partie à la procédure mais dont la teneur de l’avis lie le pouvoir décisionnaire. Le TA de Strasbourg en 2018 et en 2019 a tenté avec succès des médiations dans le cas qui vient d’être énoncé en y associant l’ABF dont la collaboration au processus est essentielle. Dans un exemple topique de refus de permis de construire, motivé par l’atteinte aux paysages environnants, d’un projet résolument de facture moderne avec toit plat et volume cubique, l’ABF a proposé en cours de médiation des solutions alternatives expliquées aux parties et acceptées par ces dernières. L’accord des parties issu de la médiation a été suivi d’un permis modificatif puis d’un désistement de la requête. Cet exemple démontre la nécessité d’un dialogue constructif entre le pétitionnaire, le maire et l’ABF voulu par le législateur. C’est donc dans un souci d’instaurer ce dialogue que le dispositif issu du décret n° 2019-617 du 21 juin 2019, pris en application de la loi ELAN, a modifié le code du patrimoine concernant le rôle de l’ABF. Le pétitionnaire peut faire appel à un médiateur dans le cadre d’un refus de permis de construire du maire fondé sur un avis défavorable de l’ABF pour une autorisation située dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable ou dans les abords d’un monument historique, l’article R. 424-14 du code de l’urbanisme impose au demandeur d’indiquer au préfet de région son souhait, en vue de contester l’avis l’ABF, de faire appel à un médiateur dans les conditions prévues à l’article L.632-2 du code du patrimoine.

Décisions d'urbanisme témoignant d'une absence de lien entre le porteur de projet et le service instructeur
Se prêtent également à la médiation, les refus de permis de construire où on constate une « absence de lien » entre le porteur du projet et le service instructeur. Ainsi un permis a été refusé en bordure d’autoroute en raison des nuisances sonores occasionnées. Le pétitionnaire qui avait prévu des systèmes anti-bruit et un double vitrage ne s’expliquait pas pourquoi un projet de même nature avait été autorisé dans la même zone. Il est de l’intérêt du porteur de projet d’être « transparent », de prendre les devants et d’expliquer au service instructeur les caractéristiques de son projet, surtout, comme en l’espèce, lorsque certaines spécifications techniques ne sont pas requises au stade du dépôt de la demande de permis.

Opérations d'urbanisme et indemnisation du voisin lésé
Pour autant si beaucoup considèrent que la médiation ne serait éligible qu’aux petits projets, cette approche ne repose sur aucun élément tangible car les grands projets s’y prêtent également. Le domaine de la promotion immobilière comporte des enjeux économiques importants et un simple recours contentieux formé par un particulier ou une association est de nature à bloquer l’opération et la commercialisation des lots d’un grand projet. Dans une affaire topique, le permis contesté portait sur la construction de plusieurs d’immeubles occasionnant, pour le particulier auteur du recours, des nuisances de vue et d’ensoleillement. La médiation a permis une négociation portant sur les conditions financières d’acquisition favorables d’un appartement dans l’un des immeubles du projet contesté. La médiation en l’espèce n’a pas nécessité de permis modificatif. Dans un autre cas, le promoteur bénéficiaire du permis autorisant la construction de 40 logements ayant reçu notification du recours gracieux en application de l’article R*. 600-1 du code de l'urbanisme, a préféré prendre l’initiative d’une demande de désignation d’un médiateur pour éviter le contentieux, lui permettant ainsi de commercialiser sans retard préjudiciable les appartements. Le protocole intervenu entre les parties dans un intervalle de temps restreint a permis au requérant d’être indemnisé de la diminution de la valeur vénale de son bien ainsi que de son préjudice moral.

Des médiations a priori non envisageables mais pas impossibles
Certains domaines conduisent à penser que la médiation n’est pas envisageable et paraît totalement impossible. Ainsi en est-il de la décision d'une collectivité d’exercer un droit de préemption. Une société de chasse s’était portée candidate à l’acquisition d’un domaine forestier de 49 ha vendue par un établissement public et avait été évincée par une commune titulaire du droit de préemption. Quelle place pour la médiation dans une telle hypothèse lorsque la collectivité ne fait qu’user d’un droit qui lui est reconnu par un texte ? Lors de l’audience de référé qui privilégie le débat oral, il est apparu que les parties avaient chacune un projet et poursuivaient des préoccupations d’environnement. La société de chasse poursuivait des objectifs cynégétiques de régulation de la faune. La commune avait un projet de création d’un parc avec vision du loup. Les parties ont accepté la médiation sur proposition du juge. Le tribunal n’a pas eu à juger du fond du fait du désistement du demandeur. Dans une seconde affaire, où les parties ont accepté d’entrer en médiation lors de la contestation de l’exercice d’un droit de préemption par une commune, l’acquéreur évincé et la collectivité avaient deux projets radicalement différents qui se sont révélés incompatibles et inconciliables. L’acquéreur évincé avait pour objectif l’agrandissement du terrain nécessaire au profit de l’exploitation de son entreprise tandis que la collectivité avait pour projet des constructions sociales. Une telle médiation s’est soldée par un échec, les parties ne laissant aucune marge de manœuvre d’où la nécessité pour les parties de réfléchir sur cette marge avant de s’engager en médiation.

Exclusion de la médiation dans le domaine réglementaire
Les plans locaux d'urbanisme sont des actes réglementaires qui ne peuvent faire l’objet d’une médiation. Cela se comprend aisément. Le public est invité à participer au processus décisionnel, en amont, dans le cadre d’une concertation et ensuite, en aval, dans le cadre de l’enquête publique. Entrer en médiation sur un PLU reviendrait conventionnellement à modifier un acte réglementaire voire l’économie générale d’un plan dont l’objet est de traduire un parti d’aménagement. Ainsi, l’homologation d’un accord issu d’une médiation portant sur la légalité d’un permis d’aménager modificatif en tant qu’il prévoit sur des parcelles appartenant au pétitionnaire une bande inconstructible de 9 mètres résultant d’un espace boisé classé (EBC) prévu au PLU appelle des réserves (TA Poitiers, 12 juill. 2018, n°1701757). L’accord conclu entre les parties avait pour objet principal de déterminer précisément la localisation de l’EBC prévu au plan de zonage du PLU pour tenir compte, d’une part, de ce que le plan ne mentionnait pas les parcelles cadastrales et, d’autre part, de l’implantation de la haie réellement protégée par l’EBC. En acceptant d’homologuer l’accord issu de la médiation alors que le document d’urbanisme qui s’appliquait comportait des carences, le tribunal n’a-t-il pas été au-delà de ce que permet une médiation en admettant implicitement qu’elle pouvait suppléer aux carences d’un acte réglementaire ?

Une marge de manœuvre étroite au travers de l'adaptation mineure
Cependant, certaines règles du PLU peuvent faire l’objet d’assouplissements nécessaires au travers des adaptations mineures. L’article L. 152-3 du code de l'urbanisme prévoit que les règles et servitudes définies par un plan local d’urbanisme ne peuvent faire l’objet d’aucune dérogation, à l’exception des adaptations mineures rendues nécessaires par la nature du sol, la configuration de la parcelle ou le caractère des constructions avoisinantes. La mise en œuvre de ces assouplissements est restrictive et exceptionnelle. Il faut qu’il existe une très faible différence entre le projet et la règle du PLU et l’adaptation doit être rendue nécessaire par une des trois circonstances limitativement énumérées par le code. Le Conseil d'État a jugé que le service instructeur est tenu de vérifier la possibilité de l’adaptation mineure avant de refuser le permis et que le pétitionnaire peut solliciter le bénéfice de l’adaptation pour la première fois devant le tribunal s’il ne l’a pas fait devant le service instructeur (CE, 11 févr. 2015, n° 367414). En toute logique, l’accord issu d’une médiation peut porter sur une adaptation mineure par rapport à certaines règles du PLU dans les conditions de l’article L.152-3 du code de l'urbanisme, ce d’autant plus que la mise en œuvre d'une adaptation mineure ne fait pas forcément parti des réflexes du service instructeur. En conclusion, le juge est réticent à ordonner des médiations dans les contentieux d’urbanisme, eu égard aux délais contraints dans lesquels le code de l'urbanisme impose de statuer les autorisations d’urbanisme. De plus en plus, des permis de construire modificatifs viennent purger les vices dont sont entachés les permis initiaux contestés. Se pose aujourd’hui la question de la compatibilité des délais de jugement à 10 mois imposés par le décret du 17 juillet 2018 (C. urb., art. R. 600-6) et le temps de la médiation qui s’intercale au cours de la phase contentieuse. Ne faudrait-il pas songer à instaurer une exception au délai de jugement de 10 mois lorsque les parties sont entrées dans un processus de médiation ?

Jean-Pierre Vogel-Braun, Référent Médiation au Tribunal administratif de Strasbourg

Études concernées
Droits de préemption Déclaration préalable Permis de construire Plan local d'urbanisme (PLU) Contentieux des autorisations d'urbanisme
© Editions Législatives 2020

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