par Chantal JAMET.
La confidentialité, la liberté, en médiation sont, comme chacun sait, des principes intangibles de ce processus, lui donnant sa crédibilité et permettant que les accords qui en émanent perdurent.
Un arrêt de la Cour administrative d’appel de BORDEAUX, rendu en formation plénière le 30 décembre 2019, n° 19BX03235, en matière de marché public, rappelle les règles du code civil concernant l’homologation d’un accord transactionnel (https://www.weka.fr/actualite/procedures/article/quel-est-le-controle-du-juge-administratif-sur-une-demande-d-homologation-d-une-transaction-94161/).
Le juge administratif estime que, puisqu’il y a transaction, il a les pouvoirs de vérification que lui donne le Code civil et, écartant le fait que la transaction émane d’un accord de médiation, il s’arroge celui de vérifier que, dans le protocole d’accords de médiation, :
– le consentement des parties est sincère et véritable,
– l’objet de l’accord est licite (conforme à la loi)
– les accords ne portent pas atteinte au respect des règles d’Ordre public,
– chaque partie dispose effectivement des droits dont elle se prévaut,
– les concessions faites sont réciproques et ne sont pas manifestement déséquilibrées.
Ce faisant, le juge occulte que seules les règles d’Ordre public s’imposent aux participants à la médiation, et déshabille la médiation de ses principes essentiels que sont :
– La confidentialité,
– la liberté des participants à la médiation, processus consensuel.
– enfin, il décrédibilise le travail du médiateur.
Plusieurs réponses à cela :
– Quant à la liberté :
– Elle est un des principes fondamentaux de la médiation qui, par essence, est consensuelle. Les personnes entrent et sortent d’une médiation quand et comme elles veulent.
– les participants sont libres de se faire les concessions qui sont équitables pour eux (et qui peuvent paraître déséquilibrées, voire inéquitables, à une personne extérieure à la médiation).
Un juge n’a pas le temps d’entendre les parties à un procès alors que c’est l’essence même du travail du médiateur. L’écoute active nécessite bien des apprentissages pour devenir un parfait outil entre les mains de celui qui l’utilise. Malgré ce que certains pensent quand ils vous lancent avec suffisance : « Moi, de la médiation, j’en fais tous les jours ! ». En suivant la formation, on s’aperçoit bien vite que l’on ne s’improvise pas médiateur et que pour juger d’une médiation encore faut-il y être formé
Car c’est avec les outils et les techniques de la médiation comme l’écoute, le questionnement, la reformulation… que l’on arrive à comprendre l’importance du principe de liberté en médiation, un processus bien plus complexe qu’il n’apparaît à ceux qui ne l’on jamais appris.
– Quant à la confidentialité, autre principe fondamental de la médiation, elle est ici bafouée.
– Réécrire le protocole signifie que le juge occulte des principes de la médiation, qu’il peut refaire ce que les participants ont élaboré dans le cadre d’entretiens confidentiels, parfois très difficiles et lourds d’affects, de ressentis, de nécessités de pardon et d’excuses, de reconnaissance et de valeurs bafouées enfin reconnues.
– remettre en cause ce que les participants à la médiation ont choisi et librement décidé, signifie qu’on ne les jugent pas aptes à se gérer, à décider, par et pour eux mêmes ; que l’on défait et refait publiquement ce qu’ils se sont évertués à faire ensemble de façon confidentielle, confidentialité dont se déleste le jugement (N’oubliez pas que le jugement est public).
Même si nous sommes dans un contexte « particulier » puisque le Tribunal administratif a été créé par Napoléon pour défendre les intérêts de l’Etat, et puisque ces juridictions font référence à la législation civile, ne devraient-elles pas en suivre la jurisprudence qui exige le strict respect de la confidentialité en médiation ? (Cf. JP constante de la Cour de Cassation qui estime nul et non avenue une assignation dont l’argumentaire est en partie fondé sur ce qui a été dit au cours d’une médiation).
– Quant à la vérification :
– Du consentement des parties,
– De la licéité de l’objet de l’accord,
– De ce que les personnes qui viennent en médiation ont bien les droits et pouvoirs qu’ils revendiquent afin de s’engager à prendre des accords…
Cela fait partie de la pratique du médiateur en début de médiation et tout au long du processus au moyen des outils et techniques du questionnement, de la vérification et de la validation.
Pour quelles raisons vouloir re-contrôler ce que fait tout médiateur digne de ce nom ?
Nous sommes pour la plupart des juristes, des avocats, des magistrats, des experts et surtout des médiateurs valablement formés à la médiation. Les exigences des Cours d’Appel pour nous inscrire sur leur liste de médiateurs, identiques à celles demandées par la FFCM, le CNMA, l’ANM et d’autres encore, sont suffisamment draconiennes pour que l’on ne mettent pas en doute nos capacités, connaissances et compétences.
Pour quelles raisons se substituer aux participants et décider à leur place de ce qui leur semble bon pour eux (ce que s’interdit le médiateur).
– que seuls les participants à la médiation peuvent décider d’y entrer et d’en sortir, qu’ils sont seuls à pouvoir, d’un commun accord, se soustraire au principe de confidentialité pour de multiples raisons qui leur sont propres comme leur crédibilité, leur image, la publicité qu’ils veulent donner à ces accords, leur respectabilité au regard d’un public…
– que la solution qui nous paraît évidente ne sera jamais la bonne pour les participants à la médiation car nous décidons, nous imaginons, une solution en fonction des lois en vigueur (générales par définition), de notre vécu, de notre histoire, de notre sensibilité, de nos ressentis, qui ne seront jamais les leurs. En se bornant à aider les participants à trouver leur propre solution, avec les outils et les techniques de la médiation, le médiateur permet cela.
– que seul l’Ordre public s’impose en médiation. Pas la loi. De même qu’il n’y a pas de principe du contradictoire en médiation.
Chaque être est unique et trouvera les solutions qui lui conviennent. En précisant que les solutions qu’ils ont trouvées ensemble seront justes pour eux, et par là, exécutées par eux et seront pérennes.
Nous devrions réfléchir à la justice telle que nous la pratiquons aujourd’hui dans nos prétoires. Elle est d’un autre temps, ne correspond plus au monde actuel et encore moins à celui de demain. Le monde ne veut plus d’un diktat qui lui vient d’une verticalité devenue insupportable, lui préférant les formes de la participation, de la coopération, que l’on retrouvent en médiation.
La sagesse voudrait que l’on ne mélange pas une nouvelle fois les genres : la Médiation est un processus (pas une procédure) bien particulier, même parmi les modes alternatifs, qui suit des principes que l’on se doit de respecter.
sans compter que l’accord de médiation n’est pas une transaction au sens du Code civil !
Sauf s’il est qualifié comme tel…