Par Claude Evin, ancien ministre de la santé, avocat au Barreau de Paris, médiateur — 22 mai 2020 à 12:50
La recherche des défaillances et des responsabilités face à la crise sanitaire va bientôt commencer. Pour éviter d'y ajouter une crise judiciaire, il faut éviter la multiplication des procès.
Tribune. La crise sanitaire va laisser pour de nombreuses familles un sentiment de frustration, d’incompréhension, voire de colère face au drame de morts brutales ou de convalescences pénibles, dans des conditions incompréhensibles, donc inacceptables.
Nombre de patients et de familles auront la conviction d’un manque de moyens matériels et humains auxquels ils avaient droit. Des personnels d’établissements fortement mobilisés ont pris des risques pour eux-mêmes. Ils pourront avoir la même réaction.
Lorsque nous serons sortis de la période la plus aiguë de la crise, commencera nécessairement et légitimement la recherche des défaillances et des responsabilités. Aussi bien celles des pouvoirs publics que celles des institutions locales.
Le contrôle parlementaire, notamment, devrait contribuer à éclairer les corrections à opérer pour l’avenir. Des plaintes pénales sont déjà déposées devant diverses juridictions et leur nombre va vraisemblablement augmenter dans les prochaines semaines. Plaintes contre des ministres et contre des responsables d’établissements de soins ou d’hébergement pour personnes âgées.
Crise sanitaire, crise judiciaire
Nous sommes attachés à l’Etat de droit et ne saurions contester la légitimité de telles démarches. Pour autant, le traitement de ces plaintes, quelle qu’en soit l’issue, pourra laisser dans quelques mois une forte amertume aux plaignants si, ne pouvant apporter la preuve d’un lien de causalité entre la situation vécue et des dysfonctionnements constatés, leur plainte aboutissait dans une impasse.
Mais même si la justice identifiait précisément des responsables, est-on certain qu’une condamnation, une fois prononcée, suffirait à apaiser la colère et mettrait un terme aux conflits ?
Nous ne traiterons pas ici des plaintes déposées à l’encontre des ministres, laissant la procédure très particulière de la commission d’instruction de Cour de justice de la République apprécier ce qui relève de la responsabilité politique ou de la responsabilité pénale. En revanche notre préoccupation concerne les relations entre les personnes prises en charge ou leurs familles avec les établissements qui les hébergent, ainsi que les relations futures entre les différents personnels au sein même des établissements lorsqu’ils estimeront que leurs responsables n’ont pas pris suffisamment de précautions.
Face à ces situations qui cachent souvent une grande souffrance humaine, plutôt qu’une procédure pénale à l’issue incertaine, il nous semble préférable de privilégier le processus de médiation. Dans un récent entretien le Premier président de la Cour d’appel de Paris propose à l’issue de la crise de «relancer la médiation» : «Il faudra forcément accepter les uns et les autres des compromis pour nous permettre de reprendre pied dans un climat où l’on devra pouvoir se parler en confiance pour essayer d’aboutir ensemble.»
Du reste, le code de procédure pénale laisse la possibilité à un procureur de la République de mettre en œuvre cette alternative aux poursuites se situant entre le procès et le classement sans suite. Il nous semble hautement souhaitable qu’une telle démarche puisse être envisagée a priori afin de permettre, lorsque c’est possible, de restaurer la relation d’écoute, de dialogue et de confiance à l’égard des responsables d’établissements sans s’engager dans un contentieux qui pourrait durer plusieurs années, souvent pénibles et stériles.
Médiation
La médiation n’est pas la négation du différend, ni du conflit. Elle permet au contraire de l’accueillir dans un espace où chaque partie peut exprimer son point de vue avec franchise selon son vécu des faits. Le compromis n’est pas la compromission. Il est d’abord écoute respectueuse de part et d’autre, recherche de compréhension mutuelle. Dans de nombreuses situations une médiation permettra de bien mieux comprendre ce qui s’est passé, qu’on «s’explique» vraiment, qu’on «se dise les choses», beaucoup plus qu’une démarche emprunte de rigidités et de postures procédurales.
Mais la médiation ne peut être imposée. Elle nécessite le consentement des parties et particulièrement l’accord de la personne qui se considère comme victime ou de ses proches. La médiation repose sur le principe de liberté et de l’autonomie des participants qui peuvent l’interrompre à tout moment pour rentrer dans une procédure judiciaire. Les personnes qui viennent en médiation ont toute liberté de s’y préparer avec leurs conseils qui peuvent les accompagner pour les aider à se faire entendre et contribuer à la recherche de solutions mutuellement acceptables.
Le processus de médiation pourra être proposé par la direction d’un établissement comme par les représentants d’une association d’usagers, de patients ou leurs assureurs respectifs. Pour garantir le principe d’indépendance, elle ne devrait pas être assurée par un médiateur interne à l’établissement. La personne ou la famille qui s’estime victime doit pouvoir l’aborder en toute confiance. Le médiateur est neutre, impartial, indépendant. Il ne sanctionne pas, il ne tranche pas, il n’est pas là pour déterminer les torts ou apporter une expertise sur la vérité juridique ou technique des faits. Par la qualité de son écoute de chacune des positions exprimées, il amène progressivement les médiés à se comprendre et à se retrouver.
Concrètement, il s’agit de permettre de nouer un dialogue franc et constructif afin d’accompagner les protagonistes, lever les zones d’incompréhensions et ainsi clarifier les positions, les contraintes et enfin les besoins réels qui sont souvent relégués au second rang dans le cadre nécessairement rigide du procès.
Plutôt que de s’enfermer dans un contentieux qui peut durer un long moment, la médiation peut permettre à celles et ceux qui ont souffert dans ce moment particulier de trouver l’apaisement auquel ils ont droit, au moment même où ils en ont particulièrement besoin.
Il ne s’agit pas là d’un plaidoyer contre le procès pénal. Comme nous l’avons préalablement exposé, il est primordial, dans un état de droit et une démocratie, que chaque citoyen puisse avoir accès à son juge, mais force est de constater que cette solution n’est, le plus souvent, pas la plus efficace pour sortir d’une crise.
Nous allons devoir apprendre de nos erreurs et rechercher l’apaisement collectif. Pour ce faire, il nous faut avant toute chose réapprendre à nous parler, et cela d’abord entre avocats soucieux des besoins et intérêts réels de nos clients, et le faire dans un cadre sécurisé, juridiquement fiable, avec le concours d’un tiers compétent et bienveillant.
Claude Evin, ancien ministre de la santé, avocat au Barreau de Paris, médiateur.
Tribune journal Libération.
Tout à fait d’accord. Je suis en train de travailler sur l’intérêt d’une justice transitionnelle adaptée à la résolution des crises sanitaires et le recours à la médiation est l’une des premières adaptations auxquelles j’ai pensé.